HISTORIEK  HISTORIQUE  HISTORIC

 

La drôle de guerre - the phoney war - 2 septembre 1939 - 10 mai 1940 (I)


Lorsque la guerre éclata, le 3 septembre 1939 la Belgique - notamment sur le plan maritime - n'y était absolument pas préparée. Aucun organisme n'avait été créé afin de pourvoir à l'approvisionnement et aux besoins du pays en temps de guerre. Ceci était à imputer, en grande partie, au manque d'efficience et au manque de décision du Gouvernement et du Parlement de l'époque. Dans les années précédant la guerre, un nouveau gouvernement arrivait au pouvoir tous les 6 mois : l'un aussi peu efficace que l'autre ! Les administrations fournissaient du bon travail mais dépensaient leur énergie en se disputant entre elles ; pas question, pendant cette période difficile, de coopération ; on continuait à faire de l'obstruction.

Henri De Vos, directeur général du Département de la Marine, qui connaissait la faiblesse de notre flotte marchande, était conscient qu'en cas de guerre, l'approvisionnement de notre pays présenterait de graves problèmes.

Pendant la période 1930-1940, H. De Vos tenta de faire admettre par le Parlement différentes mesures en faveur de notre marine ; hélas, sans beaucoup de résultats. La Marine Marchande pouvait être d'un intérêt capital. Au point de vue électoral, elle ne présentait aucune utilité pour nos parlementaires.

En cette période de bruits de guerre, le ministre des transports H. Marck (24.11.1937 5.01.1940) était fortement opposé à tout ce qui avait trait à la marine. Il n'est donc pas étonnant que Marck et De Vos, qui avaient des idées inconciliables se soient considérés comme ennemis irréductibles.

Enfin, un certain mouvement finit par se manifester : une loi sur des crédits à allouer à la marine fut promulguée le 1er février 1939. Il s'agissait d'une initiative importante, mais il était trop tard pour mettre de nouveaux navires en chantier. Il était également impossible d'acheter des navires sur les marchés mondiaux, du fait que les pays qui avaient déclenché la guerre avaient réquisitionné leurs navires, tandis que les pays neutres refusaient de vendre les leurs, vu la situation incertaine et les difficultés d'approvisionnement.

Le sévère blocus et le contrôle de la navigation dans la Manche et la Mer du Nord, par l'Angleterre et par la France occasionnaient un retard important des navires. Ils attendaient parfois des semaines pour la vérification de leur chargement dans les Downs et à Weymouth .

Ce ralentissement dans la rotation des navires avait pour conséquence une augmentation des prix du fret (et des polices d'assurances), une augmentation de la cherté de la vie.

Entre le 3.9.1939 et le 1.1.1940, 7 navires belges déjà avaient sombré ; l'un d'entre eux avait été torpillé et deux autres avaient coulé sur des mines.

En février 1940, le trafic portuaire dans les ports belges, était tombé à 27 % du volume de 1938.

Les navires français et anglais ne faisaient plus que rarement escale à Anvers. On ne voyait plus de navires allemands.

D'après la loi de neutralité, il était défendu aux navires américains de transporter des marchandises vers les pays belligérants ; ils ne pouvaient se rendre dans les zones de combat situées à l'est du 20° O. et entre 45 et 60° N. Les navires américains délaissèrent également nos ports.

Les prix des transports augmentèrent et atteignirent parfois 300 %, alors qu'en France et en Grande-Bretagne l'augmentation restait limitée à 50 %. Le gouvernement considéra cela avec résignation et laissa faire les armateurs. Aucun contrôle des prix ne fut même instauré sur les vivres.

La Direction de la Marine mit sur pied des organisations et des services permettant de prendre, en cas de guerre, les mesures indispensables à la Marine et au ravitaillement du pays.

Ainsi, fut présentée (déjà en 1933) une proposition de créer un commissariat général des ports, par laquelle, en cas de guerre, chaque port serait placé sous l'autorité d'un commissaire de port, soumis directement à la Direction de la Marine. Pour toutes espèces de raisons stupides, l'arrêté royal ne fut prêt que le 8 mai 1940 et ne fut jamais signé.

Un comité d'arbitrage des réquisitions de navires fut créé en septembre 1939 par le directeur-général De Vos, dans le but d'activer, en cas de besoin, la réquisition des cargos, et afin de pouvoir agir avec compétence, lors de différends éventuels avec les armateurs.

Lorsque l'arrêté royal de nomination des membres fut prêt, les ministres intéressés commencèrent à se chamailler. Le ministère des finances (inspecteur Ilegems) émit des objections contre le paiement des jetons de présence aux membres de la commission. Un projet amélioré de l'arrêté royal fut finalement signé par le ministre des communications Delfosse, le 17 mai, et envoyé au ministre de la défense du territoire, afin d'être contresigné.

Les chicaneries et palabres au sujet de ces mesquineries eurent comme conséquences tragiques que la réquisition de notre flotte marchande ne se fit jamais suivant les règles. Au contraire, en Hollande, dès avant le début des hostilités en Europe, la Zeeschepenvorderingswet 1939 et le Wet Behoud Scheepsruimte 1939 avaient créé des réglementations qui permettraient de prendre toutes mesures relatives aux navires des Pays-Bas.

En 1940, fut créée - toujours sur proposition de De Vos - la Société nationale des transports maritimes, une commission nationale des transports maritimes pour le ravitaillement du pays, Natrama.

La société avait un capital initial de 50 millions de Fr.; ici aussi, aucun terrain d'entente ne put être trouvé. Les armateurs insistaient sur leur liberté économique ("libre concurrence"), alors que d'autre part l'obstruction se manifestait de la part du cabinet des finances qui trébuchait sur le problème des gains exceptionnels en temps de guerre. Le 3 mai 1940, le ministre Delfosse demandait encore au ministre Gutt d'apporter rapidement une solution au sujet de Natrama.

Notre pays ne possédait pas de Marine de Guerre, elle avait été supprimée en 1920 pour raisons financières ; on estimait que ces crédits seraient mieux employés à la construction de fortifications à la frontière orientale (2).

Le 15 septembre 1939 seulement, une force navale fut créée à nouveau, plutôt un embryon de force navale (environ vingt hommes). Deux vieux navires rouillés, destinés à la destruction des mines, lui furent attribués fin octobre 1939 ; deux autres vin­rent s'ajouter plus tard. L'armement consistait à l'origine en un fusil ; peu après deux mitrailleuses furent installées à bord.

Notre gouvernement ne se rendait pas compte du spectacle ridicule qu'il offrait à toute l'Europe. Un pays ne défend pas ses côtes avec une espèce de police maritime à bord de petits bateaux poussifs. N'importe quel pays eût été honteux de naviguer avec un tel ramassis d'antiquités.

Le plus étonnant, est qu'au moyen de ces engins primitifs on parvint, grâce au dévouement des équipages, à rendre inoffensives une centaine de mines flottantes pendant la période du 3.9.1939 au 10.5.1940.

En Hollande, dès mars 1939, le ministère de la défense avait passé commande auprès d'une firme de Kiel d'une première livraison de 75 engins "paravanes", suivie plus tard d'une seconde, de 65 engins.

En Belgique, où l'on ignorait tout de ces paravanes, on se limitait à envisager, en octobre 1939, la possibilité d'acquérir un certain nombre de ces engins.

A partir d'avril 1939, la Marine Royale néerlandaise organisa des cours concernant la protection des navires marchands, où furent traités les sujets suivants : navigation en convoi, protection contre les sous-marins et les mines et défense contre avions. Il était indispensable de fournir la preuve que ces cours avaient été suivis effectivement pour obtenir le diplôme de second et de premier officier.

Après novembre 1939, lorsque, par la démagnétisation des navires, fut trouvée une protection contre les mines magnétiques, on commença à pourvoir les navires néerlandais, de câbles de démagnétisation et un "range" fut même installé dans la Mer du Nord (Noordzeekanaal) par la Marine royale.

Notre gouvernement ne prit aucune décision et donna une nouvelle preuve de sa faiblesse et de son inertie. Au 10 mai 1940, aucun navire belge n'était équipé de câbles antimagnétiques.

Churchill, dans ses mémoires, nomme la période initiale de la guerre : "l'époque à laquelle ceux qui étaient à moitié aveugles n'étaient prêts qu'à moitié". En ce qui concerne la Belgique, nous pouvons dire que "ceux qui étaient à moitié aveugles n'étaient pas prêts du tout".

Dans notre pays, par analogie avec la situation de 1914-1918, on envisagea la possibilité de faire renaître une "commission for relief in Belgium" et de faire naviguer les navires qui transporteraient des vivres, en les dotant de signes particuliers sur la coque.

Cette suggestion n'eut pas de suite ; il ne s'agissait pas cette fois, d'une guerre entre deux ou trois États Européens, mais d'un combat à mort entre deux conceptions de vie totalement opposées. La France et plus encore, la Grande-Bretagne refusèrent d'assouplir leur blocus.

On changea les batteries en essayant de fléchir la Grande-Bretagne par des arguments humanitaires. Une délégation belge (avec entr'autres le Cdt Goor et le Prince de Ligne), se rendit, en janvier 1940, en Angleterre, afin de décider le "British Ministry of Shipping" à libérer du tonnage pour le ravitaillement de notre pays. Le Prince de Ligne eut même l'audace de demander un traitement de faveur.

Les négociations traînèrent en longueur et les Belges en arrivèrent finalement à des marchandages : la livraison de milliers de tonnes d'acier en échange de vivres. La dernière réunion eut lieu le 26 février mais les Britanniques restèrent inflexibles et firent poliment, mais froidement remarquer qu'ils n'étaient pas intéressés par une livraison supplémentaire d'acier si cela devait signifier pour eux une perte égale en vivres.

La naïveté de nos dirigeants n'avait pas de limites et dans leurs tentatives désespérées d'acheter du tonnage, ils revinrent à la charge avec une proposition ridicule. Ils proposèrent d'acheter des navires allemands, bloqués dans les ports neutres. Conformément à la Convention de Londres de 1909, une telle transaction ne pouvait naturellement pas être reconnue par les pays belligérants.

La Royal Navy avait pour tâche d'aborder les navires ennemis et de s'en emparer comme butin de guerre, s'ils tentaient de s'échapper.

D'autre part, les Allemands n'avaient nullement renoncé à la propriété de leurs navires.

Parmi toutes ces déceptions, parvint soudainement l'offre de la United States Lines de mettre huit de ses navires sous pavillon belge.

Des conditions séduisantes impliquaient un gain de 66.000 tonneaux. Par ailleurs, cette cession ne devait rien coûter à notre gouvernement.

Cette offre fut acceptée rapidement par la Direction de la Marine. La "Société Maritime Anversoise" ou Somaran, créée le 18 février 1940 - avec des capitaux américains -assuma la gestion des navires, qui furent rebaptisés du nom de villes belges ("Ville de Namur", "Ville de Hasselt", en français, comme d'usage à cette époque).

En fait, ce transfert esquivait la loi de neutralité américaine. Cela provoqua une certaine agitation dans le pays et à la Chambre, où un député accusa le gouvernement d'enfreindre la loi de neutralité. Quelques journaux parlèrent de camouflage dangereux. Il ne fallait pas provoquer les Allemands ; il fallait se montrer aimable avec les loups.
Il ne s'agissait que d'une tempête dans un verre d’eau ; le ler mars 1940, la ligne New-York - Anvers fut officiellement inaugurée par le "Ville de Gand".

La vie de ces navires fut de courte durée ; six navires furent torpillés avant la fin de l'année.

Le 10 mai 1940, l'Allemagne envahit la Belgique.

Le 10 mai également, un groupe d'armateurs néerlandais, présents à Londres, par hasard, formaient un Comité, le "Nederlandsche Scheepvaart Commissie" autorisé à réquisitionner les navires néerlandais afin de les maintenir sous contrôle de leur gouvernement, donc des alliés.

Le 11 mai, le directeur-général De Vos, ordonne l'évacuation du port d'Anvers. Le 17 mai 1940, le ministre des communications Delfosse écrit au général Denis, ministre de la défense, que la réquisition de notre flotte marchande ne dépendra que d'événements hypothétiques extrêmes et ne doit pas être considérée comme imminente.

Cependant, du 30.9.1939 au 5.10.1940, onze navires belges font naufrage. L'un d'eux est torpillé, quatre autres sont touchés par des mines, et deux autres enfin font naufrage sur des haut-fond par suite de l'extinction des feux de balisage.


LA PERIODE MAI 1940 - OCTOBRE 1940

Le 11 mai 1940, le Cdt. R. Bel est désigné comme délégué auprès du Comité Franco-Britannique de coordination et part à Londres. Jusqu'à ce moment-là Boël était membre de la direction du service : "Mobilisation de la Nation", placé sous le commandement du lieutenant-général Theunis. Il était aussi ami intime de Jean Monnet, président du Comité Franco-Britannique de Coordination.

Le 12 mai, la princesse héritière Juliana, le prince Bernhardt et leurs deux enfants Béatrix et Irène, quittent IJmuiden vers l'Angleterre à bord du contre-torpilleur britannique HMS Codrington. Le jour suivant, la reine Wilhelmine quitte à son tour IJmuiden, à destination de Harwich, à bord du contre-torpilleur HMS Hereward.

Le 13 mai, les troupes de choc allemandes franchissent la Meuse au sud de Namur. Le général-major E. Rommel, commandant la 7e division blindée, perce la ligne Maginot. Il devait dire après coup : "Je croyais que je rêvais, mais c'était la réalité !"

Le 16 mai, au dernier moment, le gouvernement belge parvient encore à s'échapper de Bruxelles et s'établit à Ostende. Les ministres s'installent dans un hôtel qu'ils ont réquisitionné.

Entretemps, à Londres, s'organise la Commission consultative de la Marine, Belgian Shipping Advisory Committee, (B.S.A.C.), ayant à sa tête les Cdts. Boa, Grisar et Timmermans. Au contraire des Norvégiens et des Néerlandais, l'Administration de la Marine ne disposait pas d'un bureau à Londres. Elle ne pouvait donc pas traiter avec les autorités franco-britanniques.

Le 16 mai, tard dans la soirée, le directeur général de la Marine H. De Vos, avertit par téléphone d'Ostende, l'ambassade de Belgique à Londres, que la flotte marchande belge doit être réquisitionnée. (Le comte G. de Baillet-Latour, attaché militaire adjoint, reçoit la communication). Au cours de la même nuit, dès la première heure du 17 mai, de l'ambassade, le cdt. Boël demande, par téléphone, complément d'instructions à De Vos.

Le 17 mai, l'ordre de réquisition de la flotte marchande est alors télégraphié, par le ministère des Affaires Etrangères, à l'ambassade de Belgique à Londres. Il ressort de ce texte qu'il ne s'agit en l'occurrence que d'une réquisition "temporaire" et que la marche à suivre n'est pas très claire :
"Le Consul de Belgique à ... signifie au capitaine du s/s "   " que son navire est réquisitionné par Mr. le Directeur de la Marine, agissant au nom du Ministre des Communications et du Ministre de la Défense Nationale. Le navire réquisitionné ne peut être affrété à temps tout voyage envisagé doit être soumis à l'approbation préalable du Directeur Général de la Marine, à l'intervention du consul du port de séjour du navire. Un double du présent ordre de réquisition a été remis au capitaine qui a signé l'original pour exécution."

Ce n'était donc pas une réquisition effective, puisque les armateurs, sur simple demande d'autorisation pour un voyage projeté, pouvaient disposer librement de leurs navires !

Des instructions furent expédiées à tous les consulats et ambassades de Belgique, dans le monde entier. Soudain, tout pouvait aller vite.

D'après l'interprétation fournie ultérieurement par le directeur De Vos, il ne s'agissait pas d'une véritable réquisition, mais seulement d'une première étape, provisoire, visant à empêcher que nos navires fussent requis par des puissances "étrangères» ; là-dessus une seconde étape, définitive, devait suivre - la réquisition de fait. Mais il n'y eut jamais de "seconde phase" : la réquisition en bonne et due forme ne se concrétisa jamais ! C'est ainsi qu'en mai 1940, il n'y eut jamais de réquisition de la flotte de pêche.

Le 17 mai, le gouvernement britannique invite la Pologne, la Norvège, les Pays-Bas et aussi la Belgique, à s'affilier au Comité Franco-Britannique de coordination. Le 18 mai, l'ambassadeur de Belgique répond que le Cdt R. Boël est désigné par le gouvernement belge en tant que délégué plénipotentiaire.

Le 18 mai, René Lesure, directeur de l'Administration de la Marine, se rend d'Ostende en Angleterre, persuadé que De Vos suivra sans tarder.

Le directeur général H. De Vos était, entretemps, parti en auto vers le sud. Mais le 20 mai, pris de vitesse à Hesdin par l'avance allemande, il s'était vu réduit à rentrer à pied en Belgique. C'est ainsi qu'à Londres, Lesure eut à faire face, seul, à un monceau de difficultés.

Sur ces entrefaites, la poussée allemande ne peut être endiguée. Le front allié commence à se désintégrer. Le 19 mai, le commandant en chef de l'armée française, le pâle Maurice Gamelin (68 ans), plus bureaucrate que soldat, est mis à pied. Il est remplacé par un général chétif, mais dynamique, Maxime Weygand (72 ans), - à cette époque la limite d'âge n'avait pas encore été instaurée...

La Commission Néerlandaise de la navigation, instituée à Londres le 10 mai, avait renforcé sa position pendant les jours suivants et avait considérablement élargi ses compétences. La raison sociale se mue en C.N. de la Navigation et du Commerce, Nederlandse Scheepvaart- en Handelscommissie (en abrégé : N.S.H.C.).

Le 22 mai la N.S.H.C. est désignée comme gérante (custodian) des navires appartenant à des personnes physiques et à des personnes morales, qui se trouvent aux Pays-Bas occupés par les Allemands.

À Londres, au Ministère de la Marine, on s'inquiète de ne pas voir le directeur Henry de Vos venir participer à la suite des discussions avec le Comité Franco-Britannique de coordination (voir annexes A, B et C).
La campagne de Belgique tourne au fiasco sur toute la ligne. La retraite s'effectue néanmoins en bon ordre, mais notre armée est repoussée sur des positions défectueuses, sur lesquelles elle n'a aucune chance de prolonger la résistance.

Avec la retraite et la démoralisation des troupes coïncide un phénomène sans précédent : des centaines de milliers de Belges sont pris de panique et fuient en masse. Pareil à un grouillement de rongeurs, ce fleuve humain se faufile à grand-peine entre les colonnes militaires et se dirige tant bien que mal vers le sud-ouest. Il faut remarquer qu'un tel exode ne s'est déclenché ni au Danemark, ni en Norvège, ni aux Pays-Bas, où la population resta sur place (N. du T.).

Toute prolongation de la résistance est dénuée de sens et le roi Léopold III demande un armistice. Les Allemands exigent une reddition sans conditions : plus d'un demi-million d'hommes capitulent, le 28 mai.
Il semble à présent incroyable que notre pays eût été capable de mettre sur pied une armée de 600.000 hommes. De tels chiffres conviennent mieux à des communiqués de guerre de l'armée soviétique. De cette masse énorme de soldats, seules quelques divisions étaient prêtes au combat et convenablement équipées. On aurait pu se passer de mobiliser les deux tiers des effectifs : ce n'étaient pas des soldats, mais des civils, affublés d'un uniforme et pourvus d'un fusil. Dans ces conditions, rien d'étonnant à ce que les prestations de notre armée fussent peu brillantes.

Le roi Léopold refuse d'aller en Angleterre. Il préfère assister en spectateur impartial au prolongement des hostilités. Dans l'esprit du souverain, la Belgique n'avait pas d'alliés, seulement des garants ; tout comme si la Belgique avait été une lessiveuse ou un réfrigérateur placé sous garantie...

Le samedi 31 mai a lieu à Limoges une assemblée de parlementaires beges : ils sont cent treize : quatre-vingt-neuf députés et vingt-quatre sénateurs, plus les membres du gouvernement. Rencontre tumultueuse : certains crient, hurlent ; d'autres parlent de détrôner le roi et de proclamer la république. Les ministres s'efforcent de calmer ce public déchaîné. Spaak, habituellement si doué pour l'art oratoire, trébuche cette fois sur ses mots.
Finalement une résolution est adoptée aux termes de laquelle l'attitude du roi est censurée ; les parlementaires décident aussi de poursuivre la lutte aux côtés des alliés.

Le même jour, 31 mai, le Shipping Committee (une des neuf commissions du Comité Franco-Britannique de coordination) se réunit sous la présidence de Sir Cyril Hurcombe, assisté par Donald Anderson, du ministère de la Marine. La délégation belge est dirigée par M. M. Boël et Timmermans.

On demande à Boël ce qu'il en est de la participation de la flotte marchande belge en charte-partie à temps, étant donné que la Belgique a capitulé.

Les Britanniques veulent négocier uniquement de gouvernement à gouvernement et n'admettent aucune intervention des armateurs. C'est pourquoi ils exigent que les gouvernements en exil réquisitionnent leurs flottes respectives, afin de préparer avec ces gouvernements des accords pour des chartes-parties à temps.

La réquisition "temporaire", proposée par le directeur H. De Vos, est mal accueillie par le Shipping Committee : le problème de l'apport de la flotte marchande belge va devoir être à nouveau réglé. Boël marque son accord pour que la flotte marchande belge soit incluse dans la réserve alliée (pool). Mais il ajoute à cela qu'il n'est pas habilité à prendre un engagement ferme avec les autorités britanniques. Il doit, d'abord, obtenir l'avis et l'approbation éventuelle du gouvernement belge.

Le 5 juin, nouvelle réunion. Les Anglais proposent de mettre tous les navires belges disponibles à la disposition du pool (réserve) franco-britannique et soulignent, par la même occasion, les dispositions de la loi interdisant tout commerce avec l'ennemi.

"Trading with the Enemy Act". Cette loi stipule que les pays occupés par l'Allemagne, (Norvège, Pays-Bas, Belgique), sont considérés comme territoire ennemi. Du moment que le siège d'un armement est situé en territoire occupé, le gouvernement britannique s'arroge le droit de réquisitionner les navires concernés. Les Anglais insistent pour que le gouvernement belge (ou un organisme habilité par ce gouvernement) réquisitionne au plus tôt ses navires. Il devient ainsi impossible à un navire belge d'aller s'abriter dans un port neutre, afin de se soustraire à l'autorité légale.

Si le directeur général H. De Vos s'était rendu en Angleterre, de nombreux problèmes, liés à la réquisition de la flotte marchande belge, auraient trouvé une meilleure solution. De Vos, grâce à sa grande expérience et à ses capacités reconnues, à la tête de l'Administration de la Marine, n'aurait jamais toléré la situation ambiguë qui s'était créée.

Le 7 juin Boël s'envole vers Paris. Au prix de multiples allées et venues (Poitiers, Limoges, Châteaudun, Blois et Angers), il finit par dénicher le gouvernement belge. Boël expose son rapport et le Conseil des ministres confirme ses pleins pouvoirs, qui sont même élargis. Il représente désormais par procuration : Défense nationale, Colonies, Affaires économiques et Transports. Plus spécialement, il détient pleins pouvoirs pour les négociations ayant trait à notre flotte marchande. Ceci est d'ailleurs confirmé, quelques jours plus tard, par télégramme expédié de Poitiers par P. H. Spaak.

Boël, qui ne s'était jamais occupé d'affaires maritimes, demande, par la même occasion, que deux techniciens maritimes soient désignés pour l'assister : il s'agissait de A. P. Steer (Compagnie Maritime Belge), et de Oidtman (Armement Deppe) -mais seul Steer parvient encore en Angleterre.

Le 13 juin, Boël retourne à Londres par avion.

Pour les Néerlandais, dotés d'une importante flotte marchande, les choses sont déjà réglées comme sur papier à musique : le 6 juin, Mr. Kerstens, ministre de la Navigation du gouvernement néerlandais en exil, signe un arrêté gouvernemental, aux termes duquel tous les navires néerlandais sont réquisitionnés par le gouvernement néerlandais, pour la durée de la guerre.

Le 8 juin 1940, le franc belge est dévalué : au lieu de 144,50 F.F., 100 F.B. ne valent plus que 100 F.F. Désormais il y a donc parité entre les deux monnaies. La livre anglaise est dorénavant échangée à 176,50 F.B. au lieu de 120. Il est impossible de retracer clairement en vertu de quoi, au beau milieu de l'agitation des hostilités, on décida la dévaluation de notre monnaie.

Le 12 juin, Spaak télégraphie à Londres que Boël a reçu procuration pour céder tous les navires belges à la réserve alliée de transports maritimes (allied shipping-pool). Le 15 juin il y a encore un Conseil de Cabinet à Poitiers.

Le gouvernement décide de se rendre à Londres et de poursuivre le combat. Le ministre Spaak prie le chargé d'affaires britannique de fournir le transport.

Le 17, à huit heures du matin, on annonce que 20 places seront disponibles sur trois bombardiers de la R.A.F. Ceux-ci quitteront Nantes, le jour même, à 16 heures. Les passagers excédentaires devront essayer d'atteindre l'Angleterre par leurs pro­pres moyens.

Mais là-dessus Pierlot et les autres ministres ne peuvent marquer leur accord ! Tout comme des caïds marocains, ils exigent que leur "smala", au complet, soit également évacuée : épouses, enfants, gouvernantes, domestiques, ainsi que les membres de leurs cabinets et leurs familles. Selon certaines sources, il s'agissait d'environ 600 personnes ! Dans les circonstances difficiles du moment, c'est tout simplement irréalisable. Même les flegmatiques Anglais sont déconcertés par cette requête déraisonnable.

La proposition britannique est rejetée. Le ministre Gutt, profondément troublé par cette rupture, déclarait par la suite : "C'était à pleurer !"

Le 15 juin, l'Union Soviétique met à profit le chaos où plonge l'Europe occidentale, pour occuper et annexer les trois petits États baltes : Lituanie, Lettonie et Estonie.

Pendant les derniers jours de la campagne de France- entre le 15 et le 20 juin -145.000 hommes, Britanniques, Canadiens et Polonais, parviennent encore à s'embarquer à Cherbourg, Brest, Bayonne et Saint-Jean-de-Luz.

Dans la nuit du 16 au 17 juin, le président du Conseil, Paul Reynaud, donne sa démission. Le jour même, le maréchal Philippe Pétain forme un nouveau gouvernement. Il ne tarde pas à réaliser le premier point du programme gouvernemental : conclure un armistice avec les Allemands.

Les 16 et 17 juin, à Lorient, 200 tonnes d'or belge sont chargées in extremis à bord du navire de guerre Victor Schoelcher, à destination de Casablanca, où le navire arrive le 21 juin. Ordre lui est alors donné de faire route vers Dakar, où la précieuse cargaison est enfin déchargée. À la suite de l'attaque britannique sur la flotte française à Oran, l'or est transporté vers l'arrière-pays, pour des raisons de sécurité. On l'empile à Kayes, bled perdu et torride.

Un des buts de l'attaque (manquée) des Britanniques à Dakar, le 23 septembre 1940, était de mettre la main sur l'or belge et polonais.

Le 17 juin, à 9 heures du matin, le général De Gaulle s'envole de l'aérodrome de Bordeaux-Mérignac, vers l’Angleterre ; il est accompagné par le général Spears et le lieutenant de Courcel. Il s'est muni de 100.000 francs provenant de fonds secrets.

Le même jour, Pétain s'adresse au peuple français : "C'est le cœur lourd que je vous dis qu'il faut cesser le combat".

Toujours, le 17 juin, réagissant à l'annonce de la capitulation imminente de l'armée française, le gouvernement britannique déclare nulles et non-avenues, toutes les polices d'assurances sur navires appartenant à des pays sous contrôle de l'ennemi (Trading with the Enemy Act - loi interdisant tout trafic avec l'ennemi).

Le 18 juin, de Gaulle lance sur les ondes de la BBC son appel épique aux patriotes français.

 

A suivre

 

 

  LMB-BML 2007 Webmaster & designer: Cmdt. André Jehaes - email andre.jehaes@lmb-bml.be